Les marais
Constitué lentement au contact des argiles de la côte d’Auge par la Dives, la basse vallée de la Dives abrite aujourd’hui 10 000 hectares de marais au niveau de son estuaire.
Aux époques gauloise et romaine, la mer remonte jusqu’à Troarn. Des paysans peuplent ses rives ; à Varaville ou à Dives-sur-Mer, ils produisent du sel sur des fourneaux, pratiquent la pêche, la chasse, l’exploitation des roselières et l’élevage. Dives-sur-Mer accueille sans doute un port à l’époque romaine.
Au cours du premier Moyen Âge, la mer se retire peu à peu, laissant place à l’eau douce. Cette époque voit la formation de nos villages, dont Varaville. Leurs habitants apprennent à vivre au rythme de l’eau, des crues du fleuve et des marées.
En 1022, Roger II de Montgomery, un haut seigneur normand, conseiller de Guillaume le Conquérant fonde l’abbaye Saint-Martin de Troarn sur ses propres terres.
En 1048, avec l’accord de Guillaume, il y installe des bénédictins et leur concède des dîmes, des servitudes et le droit de moyenne et de basse justice. L’abbaye est en surplomb du marais protégé des inondations ; sa construction débute en 1059 pour s’achever à peine 30 ans plus tard en 1089.
A l’époque, les abbayes sont également de grands centres culturels avec une bibliothèque de manuscrits et un centre d’hébergement pour les voyageurs. Les moines de Troarn exploitent de vastes étangs, des moulins, des pêcheries, des roselières, des prairies à travers tout le marais, ainsi que des salines dans l’estuaire. Le port et le marché de Dives-sur-Mer, les foires de Troarn se développent. Les moines-ingénieurs déploient ici un extraordinaire savoir-faire. Ils tracent des chemins, jettent des ponts, aménagent en canaux navigables des bras d’eau naturels, élèvent des digues… Leur but n’est pas d’assécher le marais, mais d’en contrôler l’eau. Cela va donner naissance à des terres d’une richesse exceptionnelle. L’année au marais se décompose en deux saisons de six mois, séparées par les équinoxes de printemps et d’automne. De mars à septembre, on lève les vannes et l’eau s’écoule vers la mer. Le marais devient vert et on y mène paître le bétail. De septembre à mars, les vannes sont baissées et l’eau revenue fertilise les prés et alimente étangs, pêcheries et moulins. Les moines font alors grande provision d’anguilles pour les consommer toute l’année. Ils élèvent aussi des cygnes.
Pendant 7 siècles, l’abbaye est impliquée dans la mise en valeur du marais. Elle contrôle les pêcheries, les salines (dont celles de Varaville), l’exploitation de la tourbe et du bois, les moulins, etc.… Elle devient propriétaires de huit prieurés, d’une cinquantaine d’églises, et de beaucoup d’autres biens. Pendant tout le Moyen Âge, Saint Martin de Troarn est la plus grande abbaye du diocèse de Bayeux après Saint Etienne de Caen
Cet équilibre s’est renversé à la fin du Moyen Âge, le recul de la mer, la sédimentation et les activités humaines entraînant le comblement graduel de l’estuaire et de la vallée aidé en cela par la présence de la chaussée Romaine qui facilite l’élévation des terres au nord.
Au XVIIe siècle disparaît l’un des deux anciens bras de la Dives, en amont de Troarn, tandis que la Divette se réduit à un modeste cours d’eau. On s’efforce alors de coucher le marais en herbe pour l’élevage bovin.
Sous ordre du roi, des canaux de dessèchement sont creusés sur le modèle hollandais, puis les premières portes à flots sont mises en place au Bas-Cabourg pour empêcher la mer de remonter. Peu à peu, l’estuaire lagunaire se couvre de prairies verdoyantes et les grandes fermes d’élevage d’Osseville et du Hôme voient le jour. Là où se rassemblaient les drakkars de Guillaume le Conquérant paissent désormais moutons, vaches et bœufs, sur d’immenses herbages quadrillés de fossés en eau et de haies. Parfois, en période de crue, le marais se couvre d’eau et « blanchit », retrouvant son aspect d’autrefois.
Au bord du chemin de l’Anguille au lieu dit « La Londe », se trouve une pierre tombale sans nom datant du XIXème siècle avec une croix en partie effacée gravée dans le granit.
Cette tombe érigée sur une parcelle appartenant toujours à l’un de ses descendants, est celle d’Alexis André Haudry (20 mai 17773 à Cherbourg – 27 Aout 1823 au Havre). Ancien élève de polytechnique en 1794 puis de l’école des Ponts et Chaussées en 1797, après avoir passé par Abbeville et Cherbourg, il est nommé en 1801 ingénieur au Havre. En 1812 il y devient ingénieur en chef des travaux maritimes. Il est le premier à réussir à drainer le marais au moyen d’un réseau de canaux qui divise les parcelles du marais. Grace au projet d’aménagement de la Dives, il y consacrera sa vie. Il y est inhumé à sa demande, malgré de nombreuses protestations prononcées contre l’autorisation accordée par l’évêque de Bayeux de l’enterrer en ce lieu insolite. En 1808, il devient membre de la société académique de Cherbourg. Le 5 aout 1814 il est fait chevalier de la légion d’honneur. Une rue porte son nom au Havre.
Le marais est aujourd’hui sillonné par un dédale de chemins long de 35 kilomètres. Aulnes, saules, peupliers, aubépines, ormes, pruneliers bordent ses fossés, protègent du vent, régulent les eaux et fixent les berges. L’eau des fossés permet l’irrigation des champs et l’abreuvage du bétail. Elle est gérée grâce à un vannage, système de régulation, passant par la Divette puis la Dives. Peupliers noirs et saules blancs hantent le paysage : ce sont les « trognes », arbres têtards appelés aussi « têtus ». Les cavités de leurs troncs sont des réservoirs de biodiversité. Ils ont fourni autrefois bois de chauffage ou osier pour la vannerie.
La faune et la flore du marais sont exceptionnelles. On y recense :
– 167 espèces d’oiseaux sédentaires ou migrateurs dont la très emblématique, cigogne,
– 47 espèces de mammifères dont l’indésirable ragondin,
– 557 espèces d’invertébrés dont le merveilleux agrion de Mercure,
– 5 espèces de serpents et lézards dont la couleuvre à collier,
– 45 espèces de poissons dont l’anguille en voie d’extinction,
– 14 espèces d’amphibiens dont la grenouille verte.
– Enfin 840 espèces végétales dont la Nivéole d’été, plante rare et protégée à l’échelon national.
Le marais de la Dives est chargé d’histoire. Dans ce milieu remarquable et protégé se côtoient aujourd’hui agriculteurs, pêcheurs, chasseurs, randonneurs et naturalises.
C’est aussi un milieu fragile qui mérite une grande attentif