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Les textes de l’abbé Chrétien

Les dunes de monsieur le marquis

Depuis toujours, une partie du territoire de Varaville s’est appelée le Homme (avec 2 M). C’était au Nord du Bourg une avancée vers la mer, une presqu’île (c’est le sens du mot) entre l’estuaire de la Dives et l’estuaire de l’Orne. Ce Homme là s’arrêtait à la ferme, au-delà des dunes. Ces dunes couvertes de plantes sauvages étaient le royaume des lapins qui n’en étaient pourtant pas propriétaires. Au XIXème siècle, les propriétaires étaient les marquis de St Pierre, également propriétaires de la ferme et de quelques terres moins sauvages sur Varaville. En 1848, le marquis Aldéric de St Pierre en avait hérité de feu le marquis Théodore, son père. Ce n’était pas la plus belle part de l’ héritage. Que faire de cette garenne en dehors de quelques parties de chasse ? Le civet, c’ est bon, mais il ne faut pas en abuser. Sous le Second Empire, les héritiers pensent que l’on peut tirer meilleur parti de la Côte Normande. Deauville a donné l’exemple. Plus près encore, en 1860, deux astucieux promoteurs ont fait main basse sur les dunes de Cabourg. Ils les ont rasées et ont dessiné les plans d’une ville en éventail dont toutes les rues convergent vers le grand Hôtel qui sort de terre en 1861. La mode toute récente des maillots de bain de mer bénéficie de la rapide expansion du réseau ferré qui met Paris à 5h30 de Deauville par la ligne Paris-Liseux-Deauville ou de Cabourg par la ligne Paris-Mézidon-Dives. Alors qu’il fallait plus de 24h en diligence… Monsieur Jacques Malhéné, directeur des Postes, connaît la région (natif de Cambremer) et pense que l’occasion est bonne pour proposer à Monsieur le Marquis Aldéric de le débarrasser de ses dunes sauvages. Ce dernier ne se fait pas prier et ne fait pas de détail. Il vend toutes ses dunes entre Cabourg et Merville en 1866.

Les fondateurs

Monsieur Malhéné ne fait pas non plus dans le détail : il vend son domaine en parcelles qui ne font pas moins de 6 hectares. Il s’en réserve une à l’ouest de la rue qui porte son nom. Comme toutes les autres parcelles, elle va de la route de Cabourg jusqu’à la plage. Il n’y bâtira sa maison qu’en 1871-1872. La construction n’est pas simple : il faut défricher, tracer une alléee carrossable dans ce maquis. De plus, la région ne fournit pas de matériaux de construction. Il bâtit sa maison en briques, avec une terrasse pour couverture, ce qui est original pour l’époque et sous le climat normand. Elle existe toujours au n°11 de la rue Malhéné. Quatre autres parcelles sont aménagées et construites à la même époque. Nous ne connaissons que les noms de deux des acheteurs : la famille Bracke Morel et la famille De Lutho Madame Jacques Malhéné était une demoiselle De Lutho). Toutes ces premières maisons du Hôme nouveau sont à l’ouest, dans la direction de Merville. En 1877, Monsieur Armand Le Clerc se porte acquéreur de terrains situés à l’est de la propriété personnelle de Monsieur Malhéné. Il agit au nom d’une société qu’il a fondée avec Monsieur Aimable ROUSSEL sous le titre “Société des terrains du Hôme”. Monsieur Le Clerc, propriétaire à Rouen, ne songe pas seulement à bâtir une maison de vacances ; il souhaite construire un grand hôtel face à la mer. Cela sera fait pour la saison 1879. Il bâtit sa maison personnelle à l’est du vaste domaine du grand hôtel. Elle s’appelle aujourd’hui “la Savoyarde”, mais ce n’est pas lui qui lui a donné ce nom. La rue qui y conduit à partir de Cabourg se nomme Adrien Lebeaux. Elle s’est appelée Rue Armand Le Clerc jusqu’au jour où elle a été débaptisée par crainte de confusion avec l’Avenue du Général Leclerc. Quatre ans après l’ ouverture de son grand hôtel, Monsieur Leclerc, qui manifeste beaucoup d’optimisme pour l’avenir du Hôme, fait construire à ses frais sur son domaine la Chapelle St Joseph, en bordure de route.

Une croissance difficile

Les années qui suivent ne justifient pas le bel enthousiasme de Monsieur Armand Le Clerc. Le “bébé” Hôme a du mal à prendre du poids et de la taille, les acquéreurs ne se précipitant pas pour acheter d’un coup 6 ou 7 hectares de sable et de broussailles. En quarante ans, jusqu’à la Première Guerre Mondiale, il ne se bâtira pas plus d’une vingtaine de grandes demeures. Il est vrai qu’en dehors du grand calme, du grand air, du spectacle de la mer et des jeux sur le sable, le Hôme n’a pas grand chose à offrir à ses estivants. La seule attraction que les estivants du Hôme vont bientôt trouver sur place leur est fournie par Cabourg. Une station balnéaire se doit d’avoir un hippodrome. La Société des Courses de Cabourg trouve l’endroit idéal pour installer le sien dans les vastes prairies qui bordent la route de Cabourg. Elles vont de l’actuelle Avenue Général Leclerc à l’extrémité est du Golf. Mais ce n’est pas une installation permanente. Chaque année, il faut refaire la piste de plat (2 200 mètres) et la piste de steeple (9 obstacles) et remonter les tribunes amovibles. Tout cela pour une saison hippique qui dure deux jours ! Plus tard, sur le même terrain sera aménagé le Golf (toujours une société Cabourgeaise). Mais les amateurs de golf ne sont pas légion à l’époque. Le Golf va donc longtemps “vivoter”. Il connaîtra plusieurs pannes d’activités. On peut penser que c’est découragé et peut-être endetté que Monsieur Armand Le Clerc se retire en 1892. Il vend le grand hôtel et sa maison du Hôme, ainsi que la chapelle à la paroisse qu’il avait promis de lui donner. Il lui reste des terrains invendus dont il paie des impôts sans en tirer de profits. Finalement, il laissera également sa maison de Rouen pour se retirer à Saint-Pierre-sur-Dives. Le grand hôtel est acheté en 1894 par un hôtelier de Saint Pierre Les Elbeuf, Monsieur William Pinau. Sans abandonner son ancien établissement, il fait du grand hôtel du Hôme une succursale saisonnière étant donné que, la saison achevée, le grand hôtel est fermé comme tout le reste : comme la chapelle dont portes et fenêtres sont barricadées par de grands panneaux en planches, comme les quelques boutiques saisonnières que Monsieur Malhéné a fait construire, comme les villas qui ne reverront leurs propriétaires que dix mois plus tard… Dans le désert du Hôme, il ne reste plus que quelques gardiens de villa. Le grand hôtel change de propriétaire en 1910 tout en restant dans la famille. Hilarion Pineau succède à William Pineau, mais pour peu de temps. Les bâtiments (pas de fond de commerce) sont achetés en 1914 par Monsieur Eugène Guillet de Paris pour les consacrer à d’autres fins.

Le préventorium

Ouvert en 1914, le grand hôtel aura vécu 35 ans et servi uniquement pendant 70 mois d’été. Il n’était sans doute pas rentable. Le nouveau propriétaire des lieux, Monsieur Eugène Guillet, un parisien, habitant 120 Rue de la Pompe, ne pourra jouir de son acquisition pour cause de guerre. L’armée réquisitionne cet hôtel vide, en bordure de mer, pour en faire une maison de convalescence pour les blessés de guerre. Ce n’est qu’en 1920 que Monsieur Guillet peut faire donation, à titre purement gratuit, de cette propriété à l’association de l’hôpital Saint Joseph de Paris. Encore faut-il que cette donation soit autorisée par le Président de la République. L’acte est signé devant notaire le 24 mars 1920, le décret d’autorisation paraissant le 19 novembre 1920. L’hôpital St Joseph est un hôpital privé fondé par la Société des Soeurs de St Vincent de Paul. A l’ époque, la maladie la plus redoutée est la tuberculose. On s’efforce de la soigner, mais il vaut mieux prévenir que guérir. Pour les enfants qui ne sont pas encore gravement atteints et pour ceux qui sont menacés de contagion dans leur milieu se fondent des préventoriums. Là, ils trouvent un air vivifiant, une hygiène de vie surveillée, une bonne nourriture et de longues heures de repos. Le grand hôtel va devenir le Préventorium du Hôme, mais cela ne peut se faire sans quelques transformations. Le Préventorium ouvre ses portes en 1922. Monsieur Guillet avait offert le bâtiment, mais l’ancien propriétaire avait gardé une partie du terrain. L’association la lui rachète ainsi que plusieurs maisons en bordure de route dont l’actuel presbytère. De la route à la mer, entre la Rue Malhéné et la Rue Ferdinand Lebeau, c’est un vaste espace de dunes qui est mis à la disposition des petits pensionnaires (un espace que l’association s’empresse de planter de sapins). Ces petits pensionnaires viennent en grande partie de la région parisienne mais le “Prévent” accueille aussi des enfants de la région. En 1925, le Prévent se dote d’une chapelle que viendra bénir le vicaire général de Bayeux au milieu de tout l’état major de l’association de l’hôpital St Joseph et en présence de la donatrice de la Chapelle, Madame de Sarres. Sans le chercher, le “Prévent” sert à la promotion du Hôme, car les familles parisiennes viennent voir leurs enfants et découvrent la plage et la campagne. Quand le médecin de famille constate les bienfaits de la cure, il lui arrive de conseiller aux parents d’autres séjours à la mer pour les vacances. Puisqu’ils ont fait connaissance avec la mer au Hôme, certains choisissent d’y revenir. Il y en a même qui, grâce au “Prévent”, ont acheté un bout de terrain et y ont bâti leur maison pour l’été.

Les Panoramas à vendre

Si la promotion du Hôme faite par le “Prévent” est involontaire et désintéressée, ce n’est pas le cas de celle entreprise par un promoteur parisien dans les années 1920-1930. Ce dernier mise sur l’extension rapide de Cabourg vers l’ouest. Entre l’Avenue des Devises et le Golf, il n’y a encore qu’une trentaine de maisons bâties. Pour attirer la clientèle, il édite un dépliant illustré. Bientôt, hôtels luxueux et cafés agréables apparaîtront et continueront cet admirable boulevard parisien qui, dans un avenir proche, joindra Trouville au Hôme. Au site, au climat, à la beauté de la nature, Le Hôme joint cet avantage d’être à une 1/2 heure de Caen et à 2 heures et demie de Paris. L’espace à vendre représente environ 7 hectares, soit la dimension d’un lot vendu par Monsieur Malhéné 50 ans plus tôt. Il est divisé en 100 parcelles de 415 m²à 1 500 m². Une autre clientèle est visée. Quel a été le succès de cette promotion ? Assez modeste apparemment dans l’immédiat, puisqu’après la Seconde Guerre Mondiale il restera encore de nombreuses parcelles à vendre.

Un vrai village

À l’autre extrémité du Hôme, on construit également, sans publicité tapageuse et pas seulement pour une clientèle estivale. Petit à petit, le Hôme s’étoffe et s’équipe pour vivre toute l’année et non plus les deux mois d’été uniquement. Certes, il a perdu vers 1924 le petit train à voie étroite qui permettait d’aller à Dives-Caen ou Ouistreham. Il a quand même conservé sa petite gare aujourd’hui transférée plus loin et devenue bureaux de l’Office de Tourisme et de La Poste. On trouve un “Grand Bazar”, un boucher, un charcutier, trois épiceries, un dépôt de pain, une pâtisserie, deux hôtels-restaurants, un café et des artisans, maçons, menuisiers, peintres, couvreurs-plombiers. Depuis longtemps, la Chapelle St Joseph est devenue paroissiale. Le Hôme est devenu un vrai village auquel il ne manque qu’une école et une mairie. La mairie viendra beaucoup plus tard. La néécessité d’une école se fait sentir très tôt après la Première Guerre Mondiale. Pour installer la classe, il suffira dans un premier temps de la salle d’une villa de la Rue des Bains, inoccupée dix mois de l’année. Situation provisoire qui cesse en 1927. La municipalité, présidée par Monsieur Arthur Martine, offre aux écoliers du Hôme une belle et vaste classe, ainsi qu’une maison de fonction pour l’instituteur. L’école du Hôme comptera jusqu’à 30 élèves, le “Prévent” fournissant chaque année six ou sept élèves. L’ambition de la grande majorité des élèves et de leurs parents était d’obtenir le certificat d’études. Les plus doués le décroche à 11-12 ans mais certains n’ y parviennent qu’à 14 ans. Tel était le Hôme au bout de 60 ans de croissance lente, mais continue. La guerre 39-45 va marquer une autre période de son histoire.

La Libération

Les habitants du Hôme ont reçu l’ordre d’évacuer pour le 3 mars 1944. Ceux du Bourg n’ont pas reçu d’ordre mais, libérés par les Alliés le 6 juin, réoccupés par les Allemands le 7, ils ont dû fuir sous les bombardements de la marine alliée. Une vingtaine de familles ont cru pouvoir attendre les libérateurs dans des fermes isolées du marais. Injonction leur est faite de quitter les lieux le 13 juillet. Il n’y avait donc plus âme qui vive sur tout le territoire de la commune quand la Brigade Piron a libéré des ruines le 23 août, deux jours avant la Libération de Paris.

L’exode

Tous les Varavillais ont dû abandonner leur maison dans la précipitation. Démunis d’auto (il n’y pas d’essence), ils sont partis à pied pour la plupart, quelques-uns à vélo, des cultivateurs avec une charrette à cheval. Pour transporter le peu qu’ils ont pu emporter, il y a le baluchon sur le dos ou au bout des bras, quelque fois une petite remorque accrochée au vélo, une brouette, une charrette à main. Quelques-uns savaient où ils voulaient aller, dans la famille, en des coins présumés plus tranquilles. En général, ils avaient une idée pour la première étape. Après, ils prendraient la direction de l’Eure, ou de l’Orne ou du sud du Pays d’Auge. Certains, à force de fuir devant le danger, se sont retrouvés au milieu de la bataille de la poche de Falaise. D’autres sont arrivés au Mans quand ils ont appris, à la radio, la libération de Varaville. Quand cette nouvelle est parvenu aux Varavillais en exil, cela fait 6 semaines que les derniers partis ont quitté leur maison, 6 mois pour ceux de Hôme, premiers expulsés. Pendant ce temps, on a vécu sous la menace toujours possible d’un bombardement ou d’un mitraillage. Quand on se remet en route, on ne sait pas dans la paille de quelle étable on essaiera de dormir la nuit suivante. Trouvera-t-on à manger ?. Pourra-t-on se faire une vraie toilette ?. On ne sait jamais. Tout se complique encore quand il y a des enfants, ou que l’on promène dans la charrette la grand-mère qui n’a pas quitté sa maison depuis des années. On en a vite assez de cette vie de bohême, on a hâte de rentrer chez soi.

Les revenants

Certains ne reviendront jamais. Trois Varavillais, un homme et deux femmes ont été tués au cours de l’exode. Les retours vont s’échelonner en septembre et octobre. A part la peur des mitraillages qui a disparu, la route du retour, toujours à pied, par étapes est aussi une rude corvée. Les routes ont souffert, il y a des trous d’obus énormes à contourner. Il y a surtout certains villages à traverser qui ne remontent pas le moral : ils sont en ruines. Une famille est passée par Caen pour rentrer à Varaville. Elle a vu l’horreur, le centre ville soufflé par les bombardements aériens, achevé par les bombes incendiaires, réduit à un immense tas de cailloux d’un mètre de haut. On se demande ce qu’on va trouver en rentrant. C’est pour avoir une réponse à cette question que chaque groupe, avant la dernière étape, envoie un ou deux cyclistes en éclaireurs pour constater l’état des lieux.

L’état des lieux – Le bourg

Tout ce qui se situait au carrefour de l’auberge est détruit. En regardant la rue principale (aujourd’hui, avenue de la Libération) sur la droite, on est surpris de voir une maison quasiment intacte : c’est la Mairie-Ecole. Elle doit même être surprise de se trouver si seule. A gauche, vue de loin, la maison Labarrière fait encore bon effet. De plus près, on constate qu’il n’y a plus d’ardoises sur le toit, que portes et fenêtres sont arrachées et qu’il y a quelques trous dans les murs, dont un par où on peut passer aisément. C’est pourtant ce qu’il y a de mieux sur le côté de la rue jusqu’à la ferme Laviec qui a gardé ses quatre murs. Entre les deux, il y a l’église (il y avait l’église). Elle n’a plus ni nef, ni clocher. Le choeur en comparaison est mieux. Certes, il n’y a plus ni toit ni voûte. Il y a une brèche de quelques mètres de large du haut en bas dans le mur Sud; mais ça a encore l’air de quelque chose.

Le marais

Sur la chaussée, le domaine Harcouel, un peu à l’écart, n’a pas trop souffert. Plus loin, la famille Gauguin a retrouvé une maison debout, à laquelle il manque des portes, des fenêtres et beaucoup d’ardoises; mais ils n’hésiteront pas à y rentrer. Situées en des coins perdus, les maisons de la “Vieille Rivière” et du “Chemin de le l’Anguille” pouvaient se croire à l’abri. Il n’en reste qu’une d’intacte, toutes les autres sont sinistrées; de même à la “Cour du Bac”. Le plus gros dégât, c’est sans doute l’inondation. Les prairies des marais sont des polders protégés des marées montantes par les digues de la Dives. Les Allemands avaient inondé le marais pour empêcher les parachutages alliés. Cette inondation fut en effet mortelle pour de nombreux parachutistes dans la nuit du 6 Juin. Elle n’était pas dangereuse pour les prairies car c’était de l’eau de rivière. Cette fois, des bombes ont crevé une digue de la Dives. De l’eau de mer a envahi le marais. Il restera improductif pendant des années. Quant à la belle plantation de pommiers qui faisait la fierté de Mr Gauguin, elle périra toute entière à cause de ce bain de pied prolongé dans l’eau de mer.

Le Hôme

Le Hôme avait déjà souffert de l’occupation de ses villas par les troupes allemandes. En dernier lieu, les parcs, qui faisaient le charme de la station, avaient perdu leurs arbres transformés en “Asperges de Rommel”. Au cours du débarquement, l’artillerie de marine alliée a fait des “cartons” sur toutes les villas perchées sur les Dunes du rivage. Bombardements gratuits ?. Non, puisqu’on retrouvera un canon pointé vers le large dans le salon de la villa “Les Quatre Vents”. On l’avait peut-être laissé en échange du piano disparu. Toutes les maisons du Hôme, la Chapelle et le Préventorium sont sinistrés. Peu de destructions totales, mais partout des murs percés par des trous d’obus, des toitures envolées, des cloisons soufflées, des portes et des fenêtres arrachées ou branlantes. Surtout entre la route de Cabourg et la mer, tout est miné, les parcs des villas, le golf et la plage, hérissés de ferrailles anti-chars reliées par des barbelés. Ce sont des mines anti-personnel. Plus tard, on en découvrira d’autres de gros calibre: mines anti-chars enterrées sur le chemin de la ferme. Cette découverte procurera une belle frayeur rétrospective aux revenants qui sont passés et repassés dessus sans se douter de rien. Une petite consolation quand même dans ces malheurs: les navires alliés, les barges du débarquement ont eu quelques avaries provoquant la perte des colis destinés au ravitaillement de la troupe, compatissante, la mer en dépose un certain nombre sur la plage. On y trouve des trésors, des choses dont on a perdu le goût après des années de restriction : du vrai café, du thé, du riz, des rations pour les soldats et même parfois du chocolat, une friandise que les plus jeunes enfants n’ont jamais goûtée. Quand ils ont découvert cette manne providentielle, les pêcheurs d’épaves ne ratent pas les rendez-vous de la marée.

Pillage

Qu’ils soient du Bourg, du Hôme ou du marais, les “revenants” constatent que leurs maisons ouvertes à tous vents ont déjà été visitées: des pillards sont passés par là. C’est hélas une règle générale; les lendemains de catastrophe attirent toujours des gens qui profitent du malheur des autres. Des artisans qui avaient pris soin de mettre en sécurité leur outillage professionnel ne retrouvent plus rien. Dans les maisons, il manque des meubles, très souvent du linge, de la vaisselle. Inutile de chercher dans la cave les bouteilles que l’on conservait pour de futures fêtes de famille.

Un rude hiver

La météo de l’hiver 1944-1945 fut rude pour tout le monde, mais particulièrement pour les “revenants” qui ont décidé de rester dans leur maison retrouvée. Il ne sont pas très nombreux. Beaucoup de Varavillais, constatant le délabrement de leur demeure, ont cherché refuge ailleurs, à Cabourg en particulier. La Mairie elle-même, pendant quelques mois, abandonnera le territoire communal pour s’installer à Cabourg, dans la salle de la villa “La Gerbe d’Or”. Ceux qui restent sur place récupèrent des ardoises ou des tuiles pour boucher les trous du toit. On colmate les trous dans les murs. On rafistole portes et fenêtres. Impossible de se procurer des carreaux. Quelque fois, on a la chance de retrouver au mur des photos de famille dans leur cadre. On démonte le cadre et on récupère le verre, ça fait une fenêtre presque neuve. On bouchera les autres avec du carton, ou si on a la chance d’en trouver avec du papier transparent. Le pire, c’est le manque d’électricité. Elle mettra longtemps à revenir, surtout dans les écarts. Les veillées à la bougie seront courtes. Pour les courses, il n’y a plus de commerce sur place; il n’y a que la marche à pied ou à bicyclette. Du Hôme, on va sans problème à Cabourg. Si on prend la chaussée pour aller à Dives ou à Cabourg, il faut se renseigner sur les heures de marée. La passerelle pour piétons, sur la Dives peut se retrouver noyée en cas de grosses marées. Il faut alors passer par Robehomme. Les hibernants de 1944-1945 qui viennent à la messe du dimanche peuvent tenir dans la pièce la plus habitable de la maison Labarrière, plus tard dans un bungalow situé de l’autre côté de la route de Cabourg.

On renaît petit à petit

Au cours de l’année 1945, la situation s’améliore lentement mais sûrement. Les Varavillais n’auront plus à chercher leur mairie à Cabourg, elle revient au Hôme dans la villa “Les Oiseaux”. Venus du camp de prisonniers de Fleury sur Orne, des soldats Allemands installés dans la colonie de vacances “La Corbeilloise” procèdent au déminage du Hôme. Mission périlleuse: un démineur trouvera la mort sur le terrain du golf. Les particuliers peuvent aussi embaucher des prisonniers pour des travaux chez eux ou sur leurs terres. Ces pauvres bougres n’inspirent plus la crainte mais la pitié. Entre victimes de guerre, on peut se comprendre. Des relations se nouent, certaines se prolongeront quelque temps par une correspondance, quand les prisonniers seront rentrés chez eux. Modeste prélude à une réconciliation encore impensable. Sur ce qui reste du choeur de l’église du Bourg, on pose un toit de tôles, on bouche la brèche par une palissade en bois. La paroisse retrouve un lieu de culte un peu plus vaste en attendant mieux. En septembre, l’école réouvre ses portes. Les petits Varavillais ont été privés d’une année scolaire. Privation qu’ils ont supporté courageusement sans protester. Au Bourg, trois baraquements vont accueillir des familles dont les maisons sont inhabitables. Les commerçants se réinstallent tant bien que mal, aussi vite qu’ils le peuvent. Les acheteurs eux, ont toujours besoin de tickets de ravitaillement pour nombre de marchandises. L’essence se débite toujours au compte-gouttes. Mais, on espère que ça va changer. Sur la commune, si presque toutes les maisons sont sinistrées, la grande majorité n’exige que des réparations plus ou moins importantes. Les services du Ministère de la Reconstruction et du Logement, MRL, noyés sous des milliers de dossiers, font de leur mieux pour activer la remise en état de ce qui est réparable. Cinq ans après le débarquement, les choses ont bien avancé. En 1949, l’Abbé ETIENNE, dans son presbytère du Hôme réparé, peut accueillir décemment son évêque Mgr PICAND venu bénir la chapelle restaurée. Elle a perdu son joli clocheton octogonal, remplacé par un carré d’ardoises sans grâce, mais elle est couverte, ornée de vitraux neufs, capable d’accueillir paroissiens et estivants. Pour la circonstance, on a abondamment décoré la façade et l’intérieur. C’est une belle fête. Pour que le Bourg ne soit pas jaloux, l’après-midi, l’évêque va y bénir la première cloche promise au clocher de la future église. Comme ce clocher n’en n’est pas encore à l’état de projet, on a bâti à l’entrée du cimetière un mini-clocheton. La cloche n’y est pas à l’abri, mais le sacristain Marcel Leroux pourra sonner l’angélus, inviter les paroissiens à la messe et carillonner mariages et baptêmes.

Ce qu’il reste à construire

On a mis environ cinq ans pour réparer ce qui était réparable et on peut considérer que la bénédiction de la chapelle du Hôme restaurée fêtait la fin de cette première étape. Pour les bâtiments qui avaient subi des dégâts tellement importants qu’il n’était pas question de réparer mais de faire du neuf, il a fallu beaucoup de temps, et pour les sinistrés beaucoup plus de patience. L’estimation de la valeur du bâtiment détruit est une affaire d’experts tous débordés. La plus ou moins grande vétusté réduit le montant des dommages. Si le propriétaire n’est pas d’accord, il peut demander une contre-expertise. Ca prend du temps. Puisqu’il s’agit de faire du neuf, il faut avoir recours à un architecte dont le projet sera soumis à une commission, pour obtenir le permis de construire. Pendant ce temps-là, les sinistrés logent dans des baraquements ou comme ils peuvent. Il en est ainsi pour le presbytère du Bourg. Le curé n’est pas le plus mal loti puisqu’il a à sa disposition le presbytère du Hôme. Il renonce d’ailleurs à revenir dans un nouveau presbytère au Bourg et la commune peut disposer des dommages de la reconstruction à un autre usage. Ce sera une grande maison pour loger deux familles. L’avis favorable des services de la reconstruction ne sera obtenu qu’en 1950 et la nouvelle maison ne pourra accueillir ses premiers locataires qu’en 1954. Ils auront attendu dix ans pour retrouver un vrai toit. Quatre familles qui étaient candidates pour ces appartements devront encore patienter.

Rebâtir l’église

Bien triste est le spectacle qu’offre l’église dix ans après le débarquement. Les bombardements alliés ont détruit la nef. Les Allemands ont fait sauter le clocher avant de partir. Le choeur du XIIIème siècle n’a plus de voûte, il garde deux murs intacts, le troisième est ouvert par une large brèche sur toute sa hauteur. On l’a coiffé d’une toiture en tôles, on a bouché la brèche par une palissade. La paroisse s’y entasse tant bien que mal, mais ca ne peut pas durer. Rebâtir mais comment ?. Il y a quelques nostalgiques qui aimeraient voir renaître à l’identique l’église de leur communion, de leur mariage. C’est possible mais pas souhaitable. Mis à part le choeur, l’ancienne église n’était ni belle ni pratique. De la nef, sans style, étroite et tout en longueur, il était difficile d’apercevoir l’autel au delà des soubassements du clocher. On pouvait faire mieux. L’abbé Etienne est bien de cet avis mais il a sa petite idée très personnelle. Il trouve l’église trop grande pour la population du Bourg et la chapelle du Hôme trop étroite pour accueillir la marée des estivants en juillet et août. Il suggère de prendre sur les dommages de reconstruction de l’église pour agrandir la chapelle. Il y avait là de quoi déclencher la guerre entre le Hôme et le Bourg. Le Conseil Municipal soucieux de paix civile et de réélection fait la sourde oreille. On fera du neuf. Beaucoup de communes sinistrées ont déjà rebâti leur église. Quelques unes à l’identique, quand elles avaient une certaine valeur architecturale, d’autres dans un style très classique, certaines résolument modernes. Spécialement chargé par le Maire du dossier de l’église, l’adjoint M. Charles Labarrière ne manque pas de but de promenades dominicales. Il va voir ce qui se fait ici et là. Ca peut donner des idées. Mais en dernier ressort, c’est l’affaire de l’architecte de la commune M. Simon Vermont.

Plan-plan rataplan

En octobre 1951, l’architecte offre au choix du Conseil municipal quatre avant-projets, plans et esquisses. C’est le quatrième qui reçoit l’adhésion unanime du Conseil Municipal. On ne perd pas de temps pour l’expédier à l’inspecteur général Directeur de la reconstruction. C’est parti. S’il y a un reproche qu’on ne peut pas faire aux administrations c’est celui de pécher par précipitation. Il a fallu un an et demi pour que les services de l’inspecteur général directeur découvrent que le projet dépassait vingt millions (on le savait depuis le début). En conséquence, le plan proposé devait être soumis à une commission spéciale. Un architecte parisien garde le dossier pendant un an et demi. Mais, pour prouver sans doute qu’il a étudié le dossier, il propose quelques modifications, en particulier remplacer le toit en batière couvert en tuiles, par un toit plat couvert en cuivre. Les conseillers varavillais n’ignorant pas que le ciel normand pouvait être parfois pluvieux refusèrent unanimement cette idée géniale de l’architecte parisien. Ce n’est pas un obstacle. Mais avant de démarrer les travaux, il faut s’assurer du financement qui s’élève à 28 443 928 Francs. Nouveau déboire, le 18 Avril 1958, la commune est informée qu’aucun financement ne peut être effectué en espèces. Seul un financement en titres est possible. Le Conseil Municipal ne veut pas prendre de risque, il décide à l’unanimité d’attendre des temps meilleurs. Ca prendra un an. Enfin, le 30 mai 1959, le permis de construire est délivré et le financement en espèces assuré. Les démarches administratives ont duré cinq ans.

Une chapelle provisoire

Avant de bâtir, il faudra démolir ce qui reste du choeur de l’ancienne église, refuge de la paroisse. Il faut une église provisoire. Ce sera un modeste baraquement en bois installé à côté de la Mairie-Ecole (l’actuel parking). Trois artisans réalisent sa construction, Prod’homme pour la maçonnerie, Magdelaine pour la menuiserie et Bréville pour la couverture. Pendant plus de trois années ce quatrième abri provisoire depuis la libération permettra le déroulement de la vie paroissiale.

Les bâtisseurs

Les réponses aux appels d’offre sont étudiées le 30 juillet 1959. Sont retenues: l’entreprise Payen, d’Escoville, pour la maçonnerie, l’entreprise Lecomte, pour la charpente menuiserie, Bréville du Hôme pour la couverture-plomberie, Auvray de Caen pour l’installation électrique et Lemieux pour la peinture. La grande verrière en dalles de verre sera l’oeuvre de l’atelier Lecomte de Caen. Deux nouvelles cloches viendront tenir compagnie à celle bénite par Mgr Picaud en 1949, elles seront fondues à Villedieu par Cornille-Havard. On a aussi prévu le chauffage de la nouvelle église, confié à l’entreprise Guyon et Cie. C’est un progrès. Dommage seulement que les architectes ignorent ce que nous apprenions à l’école primaire du temps du certif, à savoir que l’air chaud s’entête depuis toujours à prendre de la hauteur. Les bouches de chaleur situées à mi-hauteur du mur du fond chaufferont la voûte mieux que les bancs. Les travaux commencent début octobre 1959. L’achèvement est prévu pour juillet 1963. Les délais sont respectés.

Une grande fête

La résurrection de l’église dix neuf ans après la destruction méritait d’être célébrée avec faste. Ce fut fait le vendredi 26 juillet 1963. La cérémonie commence à 15h30, mais la foule a pris de l’avance. A défaut de pouvoir pénétrer dans l’église, elle peut s’occuper à déchiffrer les inscriptions des deux cloches qui attendent dans le cimetière d’être baptisées par l’Evêque. On y lit leurs noms et ceux de leurs parrains et marraines. La première s’appelle Noëlle, Brigitte, Marie-Jeanne, Lucienne, ses parrains sont Gérard Labarrière et Lucien Rouvres, ses marraines Mme Louis Maître et Mme Lucienne Tirard. La seconde se nomme Louise, Suzanne, Laurence, Thérèse, les parrains sont Marcel Leroux et Roger Gaugain, les marraines Mme Marcelle Prod’Homme et Mlle Thérèse Quoniam. Mr Bernard, le Maire, ceint de son écharpe et entouré de son Conseil Municipal attend l’Evêque Mgr Jacquemin dont c’est la première visite à Varaville. Le préfet s’est fait représenter. Le directeur départemental de la construction est présent. Devant la porte de l’église discours du Maire qui résume le roman de la reconstruction, réponse de l’Evêque qui tient sur un coussin une clef supposée être celle de l’église. C’est un symbole, la vraie clef ne fait que quelques centimètres. Derrière l’Evêque et les personnalités, la foule peut enfin découvrir l’intérieur de la nouvelle église. Les proportions sont harmonieuses, le soleil généreux met en valeur les coloris de la grande verrière. Mais on retrouve aussi avec plaisir quelques rescapés de l’ancienne église: le grand Christ en bois qui domine l’autel, les vénérables fonds baptismaux, et surtout la très belle statue, XVIème siècle, de la vierge à l’enfant. J’ai raconté comment elle avait été brisée par les Huguenots au temps des guerres de religion, les morceaux cachés pendant des siècles dans la menuiserie d’un petit autel, sa découverte dans le années 30, sa restauration par les soins de l’Abbé Etienne en 1934. En 1944, elle parait bien perdue à jamais. On en retrouve 14 morceaux en déblayant les ruines du clocher. C’est un véritable deuil pour l’Abbé Etienne. Des amis, les Monteilhet, témoins de la désolation décident de le consoler. Ils habitent dans la Gironde et connaissent un sculpteur espagnol capable de prouesses, qui accepte de la restaurer. Il a promis qu’elle serait prête pour le 26 juillet. L’avant veille, on l’attend toujours. Un coup de téléphone annonce qu’elle est en route. Elle est là, un peu trop haut perchée pour que l’on puisse l’admirer de près, mais elle est là c’est le principal. La cérémonie commence par la bénédiction de l’église par l’Evêque. Puis c’est la première messe célébrée dans la nouvelle église. Mgr Durand, directeur du pèlerinage de Lisieux, ancien collègue de l’Abbé Etienne à l’institution Frémont en est le célébrant. Monsieur le curé est très fier de présenter l’Abbé Le Trocquer, le prédicateur. Il l’a connu enfant et lui a fait le catéchisme, il est le jeune doyen de la faculté de philosophie à l’institut catholique de Lyon. Reste à bénir les cloches. Tout le monde se retrouve au cimetière pour cette dernière cérémonie, mais avant de commencer, l’Evêque dit son plaisir d’épingler sur la poitrine de Marcel Leroux la médaille bien méritée pour des années de services dans la paroisse comme sacristain, chantre, sonneur. L’inévitable vin d’honneur est servi à l’Auberge de la Ferme, tandis que l’équipe de la maison Cornille-Havard se hâte d’installer dans le clocher les deux nouvelles baptisées. Elles ont carillonné longuement la fin de cette mémorable journée. La reconstruction de Varaville s’achevait dix neuf ans après sa destruction….